REP / REP+ : apporter plus à ceux qui ont le moins

Paru dans le numéro 386 de La Voix des Parents (à retrouver ici)

La nouvelle carte de l’éducation prioritaire prévoit, pour la rentrée 2015, 1089 réseaux (qui regroupent chacun un collège et les écoles rattachées) d’éducation prioritaire (REP), dont 350 REP+, réseaux « super-prioritaires».

Le principe fait consensus, sa mise en pratique moins. En décembre dernier, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, a dévoilé sa réforme de l’éducation prioritaire, effective dès la rentrée prochaine. La carte des « zones prioritaires », créée en 1981 par le ministre de l’Education nationale d’alors, Alain Savary, n’a depuis été revue qu’à la marge, tandis que les contextes sociaux et économiques des territoires, eux, évoluaient parfois grandement. L’éducation prioritaire ne semblait ainsi plus remplir complètement son rôle. « Elle a été mise en place pour répondre à une vision de l’école très égalitariste, rappelle Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires, association spécialisée sur l’éducation prioritaire. Avant, on disait que tout le monde devait bénéficier des mêmes moyens, quelle que soit sa situation. L’éducation prioritaire était donc une stratégie de compensation. Les ZEP (zones d’éducation prioritaire) étaient une chance d’avoir plus de justice. »

Réduire les écarts de réussite

Or, c’est cette justice qui est actuellement remise en cause. En effet, la France est le pays de l’OCDE le plus touché par le déterministe social. L’origine sociale a de grands effets sur les résultats scolaires alors que c’est justement la mise en place d’un dispositif d’éducation prioritaire qui était censé gommer ces différences – ou au moins les atténuer. Un échec qui s’explique en partie, donc, par l’obsolescence de la carte : des établissements – écoles et collèges – dont les caractéristiques ne leur permettaient pas d’être classés dans l’éducation prioritaire en 1981 ont, depuis, vu leur population se fragiliser sans pour autant bénéficier des moyens qu’offre ce classement. Mettre à jour cette carte était tout l’objectif de la réforme entreprise par Najat Vallaud-Belkacem, et ainsi permettre de ramener à moins de 10 % les écarts de réussite scolaire entre les élèves, contre environ 30 % actuellement.

A la rentrée prochaine, la France comptera 1089 réseaux (un collège et les écoles rattachées) d’éducation prioritaire (REP, qui remplacent les RRS), dont 350 REP+, réseaux « super-prioritaires » (qui remplacent les ECLAIR). C’est approximativement le même nombre d’établissements classés que pour 2014/2015. Environ 10 % de la carte de l’éducation prioritaire est modifiée par rapport à la précédente, entre les nouveaux entrants et les sortants.

Des critères de classement critiqués

Pour redéfinir cette carte, le ministère a déterminé quatre critères « objectifs et transparents ». Sur chaque territoire a ainsi été définie la part : d’élèves dont les parents appartiennent aux catégories socioprofessionnelles les plus défavorisées, d’élèves boursiers, d’enfants résidant en quartiers prioritaires de la ville et d’élèves redoublant en 6e. « Il y a eu un travail précis d’analyse de la situation des quartiers » souligne Marc Douaire. Ces critères ne font toutefois pas l’unanimité, en particulier chez les établissements exclus du réseau. « Quand on gratte un peu, on s’aperçoit que ces critères ne sont pas objectifs, estime Richard Galéra, enseignant au collège Paul-Eluard de Montreuil, qui fait partie des quatre collèges qui sortent du réseau en Seine-Saint-Denis. Par exemple, celui qui se base sur le nombre de redoublements en sixième, alors que nos inspecteurs nous incitent à ne pas faire redoubler… » Beaucoup de contestations sont apparues après la publication de la nouvelle carte, provenant d’enseignants et de parents d’élèves n’acceptant pas le déclassement de leur établissement. « C’était un coup de massue quand on a appris qu’on sortait, se souvient Richard Galéra, dont le collège fut fermé pendant plusieurs semaines en signe de protestation. On a du mal à comprendre pourquoi au vu de nos difficultés, même si on sait qu’il y a une logique comptable et que si certains établissements entraient, d’autres devaient sortir ». En effet, le ministère souhaitait une réforme à moyens constants. Toutefois, pour éviter qu’un établissement qui sort de la carte ne se retrouve pas, du jour au lendemain, dépourvu des moyens qu’offrait son classement, ceux-ci devraient être maintenus pendant trois ans.

De même, pour éviter les effets de seuil, les moyens alloués à chaque établissement devraient être proportionnels à la réalité sociologique et à ses difficultés. Cela devrait par exemple permettre à un établissement dont les caractéristiques le situent aux portes de la carte d’éducation prioritaire – avec les difficultés auxquelles cela renvoie – de percevoir des ressources adaptées. Pour cela, l’allocation des moyens ne sera plus uniquement basée sur le critère territorial mais également sur des critères sociaux. Néanmoins, comme le budget global ne devrait pas augmenter, des craintes surgissent dans les établissements classés. « On était satisfaits d’entrer en REP mais désormais, c’est un peu flou », s’inquiète Honoré Séguy directeur de l’école élémentaire Sauguet à Coutras (Gironde), classée REP à la rentrée prochaine. Si les établissements sortants gardent leurs moyens, qu’est-ce qu’on aura ? » Ces dernières semaines, plusieurs collèges ont ainsi été perturbés par des contestations sur ce point tandis que le ministère reste vague à ce sujet.

« Plus de maîtres que de classes »

Alors qu’appartenir à l’éducation prioritaire était à ses débuts mal perçu, en raison de la crainte de voir s’éloigner le public le plus favorisé, aujourd’hui, les établissements se satisfont d’y appartenir ou contestent le fait d’en sortir. La raison ? Ces fameux moyens qu’apporte un tel classement. Pour les écoles classées REP, le système du « plus de maîtres que de classes » sera systématique. « On aura des enseignants qui aideront un autre professeur en même temps dans sa classe, précise Honoré Séguy. On devrait également avoir des classes moins chargées. On espère également avoir des moyens pour monter des projets, par exemple en impliquant les parents. »

De plus, les enseignants de REP bénéficieront d’une revalorisation de leur prime, ce qui devrait favoriser la stabilité des équipes éducatives, facteur de réussite de projets ou encore de relation de confiance avec les parents d’élèves. En outre, du personnel supplémentaire – infirmier notamment – sera affecté dans chaque établissement et la scolarisation des enfants de moins de 3 ans sera facilitée.

Des dispositifs efficaces

Les établissements REP+ obtiendront ces mêmes moyens, auxquels s’en ajouteront d’autres. Il est prévu notamment un accompagnement continu des élèves de sixième jusqu’à l’heure de fin des cours. Les enseignants verront leur temps d’enseignement pondéré : les professeurs des écoles auront une décharge de neuf journées par an et les enseignants en collège ne passeront plus 18 heures mais 16 h 30 en classe par semaine. Ce temps libéré leur permettra de se former, de se concerter et favorisera le travail en équipe. « Tout cela nous permettra de mieux voir les difficultés des élèves, assure Honoré Séguy. La diminution des effectifs par classe, les profs en surnuméraire et le travail en équipe devraient aider à diagnostiquer et trouver des solutions. Ce sont des dispositifs qui ont fait leurs preuves, comme le montrent les résultats des écoles qui étaient en ZEP. »

Le classement de son établissement apparaît ainsi comme un soulagement pour Honoré Séguy, qui le demandait depuis plusieurs années, sans réussite. « C’est une reconnaissance, notamment pour les collègues qui font ce qu’ils peuvent et attendent de l’aide. On a désormais l’espoir de pouvoir mieux travailler et tirer les élèves vers le haut. » Le ministère assure que les résultats de ces dispositifs seront étudiés, afin de vérifier leur efficacité. De même, la carte de l’éducation prioritaire devrait être revue tous les quatre ans.

 

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TEMOIGNAGE

Itw-386---Axel-Raix-2Axel Raix, principal du collège Wazemmes, à Lille (ECLAIR, futur REP+)

« Depuis que le collège a ouvert, en 2008, il a toujours été classé à l’échelon maximal. Aujourd’hui ECLAIR, l’an prochain REP+. On a 80 % de boursiers dont la moitié à l’échelon maximal. La réforme me paraît justifiée, la carte devait évoluer car la sociologie des établissements change. Le fait de passer de ECLAIR à REP+ fait que tout ce qui existait va être amplifié : plus de moyens humains, des effectifs de classe plus allégés, du soutien pour les 6es, une formation des enseignants, du personnel au statut qui n’existe pas ailleurs (un assistant sécurité, une assistante sociale à temps plein, une infirmière en plus…) On est incité à faire des expérimentations pédagogiques (interdisciplinarité, échange de service avec le premier degré…) ce qui rend les élèves plus réceptifs. Tout cela permet d’apporter plus à ceux qui en ont le moins. Par exemple, on travaille beaucoup avec le milieu associatif et, chez nous, le triptyque parents – enfants – école n’existe pas : on y ajoute les associations, la mairie… On organise par exemple des cafés pédagogiques dans les centres sociaux pour rencontrer les parents les plus éloignés de l’école. On dit souvent que l’école française ne comble pas les inégalités, mais je pense que l’éducation prioritaire est une réussite. Il faut aussi se dire que toutes les difficultés ne viennent pas de l’Education nationale, il y a les difficultés sociales, familiales… »

 

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Chiffres-clés de l’éducation prioritaire

1089 : le nombre de réseaux d’éducation prioritaire (REP) à la rentrée 2015

350 : le nombre de REP+, réseaux « super-prioritaires » en 2015. 102 établissements « préfigurateurs » ont été mis en place dès la rentrée 2014

352 millions d’euros : l’estimation du coût de la réforme de l’éducation prioritaire

4 : le nombre de paramètres retenus pour classer les collèges : taux d’élèves issus des catégories les plus défavorisées, taux de boursiers, part d’enfants résidant en zones urbaines sensibles et retard en 6e

18 % : le pourcentage d’écoliers qui, pour l’année 2014-2015, sont dans un établissement d’éducation prioritaire, comme 20% des collégiens et 2% des lycéens, soit au total environ 1 700 000 élèves sur 11 800 000

 

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INTERVIEW

itw-386---giiry-favard-edBruno Giry-Favard, directeur de l’école élémentaire Saint-Charles 2, Marseille (futur REP+)

Votre établissement devient REP+ à la rentrée prochaine. Quel est votre sentiment ?

On aurait dû être classés depuis des années. Nous sommes situés en zone urbaine sensible (ZUS) depuis 2001 et on n’a cessé d’envoyer des courriers pour demander un classement. Mais ça n’a abouti à rien jusqu’à cette année. Même notre inspecteur ne comprenait pas…

Que va changer ce classement du point de vue des moyens ?

Tous les enseignants vont bénéficier d’une décharge de 18 demi-journées pour de la formation, des réunions avec les enseignants de 6e du collège rattaché ou de l’école, pour rencontrer les familles. Ils auront aussi une prime, ce qui est une reconnaissance de la difficulté du travail dans ce type d’établissement et permettra de stabiliser les équipes, ce qui aidera notamment à instaurer de la confiance avec les familles.

Et d’un point de vue pédagogique ?

Les effectifs par classe seront limités à 25 élèves, permettant de travailler dans de meilleures conditions. On aura le dispositif plus de maîtres que de classes : un maître supplémentaire viendra donner du soutien dans des classes de CP, CE1 ou CE2. On aura aussi des aides pour mettre en place des projets avec les élèves, notamment en fin de journée, par petits groupes. Tout cela va forcément se faire ressentir sur les résultats des élèves, même s’ils ne vont pas progresser en un an de manière magique.

 

 

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