Regards d’une jeune enseignante de Français sur les réformes du collège et des programmes

Mme B. (qui préfère rester anonyme) est professeure stagiaire de français dans un collège de l’académie de Dijon. Déjà troublée par les différents dysfonctionnements de l’ESPE tout au long de l’année*, la jeune enseignante doit de plus faire face à une réforme du collège et à de nouveaux programmes.

 

La manifestation du 19 mai avait pour but de contester plusieurs points de la réforme du collège, dont les 20% d’autonomie donnés aux établissements et, avec eux, la crainte d’un pouvoir accru des chefs d’établissements. Comment percevez-vous cette future autonomie ?

Ce peut être intéressant pour répondre aux attentes de certains collèges qui ont des besoins différents selon la population qu’ils accueillent. En revanche, cela peut constituer un danger si la direction n’écoute pas suffisamment les enseignants. Il faut un conseil d’administration qui fonctionne bien, qui ne passe pas en force par rapport aux avis de l’équipe éducative. Dans certains établissements, les personnels de direction peuvent être en opposition avec le corps enseignant et cela peut poser des problèmes. Il faut donc pas mal de temps de concertation. Il faudrait que, institutionnellement, le rôle des enseignants dans ces décisions soit reconnu.

Une autre critique concerne le latin. En tant qu’enseignante de Français titulaire d’un CAPES de lettres modernes, quel est votre point de vue ?

Je crois qu’il ne faut pas faire l’impasse sur le latin car il apporte beaucoup de choses et permet de mieux connaitre la langue française en connaissant ses origines. Mais je crois qu’il est préférable que le temps soit mieux réparti entre tous pour que tous y aient accès plutôt que ce soit réservé à certains dont les parents s’en servent parfois pour que leurs enfants soient dans une meilleure classe. J’ai toutefois l’impression que les dispositions prises par la ministre par rapport aux propositions de départ vont dans le bon sens.

 

« Le risque de passer à côté d’auteurs incontournables »

 

L’interdisciplinarité, à travers les EPI, risque de modifier votre manière de travailler. Quel est votre sentiment ?

J’ai peur que les professeurs des collèges actuels ne soient pas formés, pour la plupart, à un travail de ce type. Il y a un énorme besoin de formation et d’information pour que ce soit efficace et que ça serve à quelque chose. La pédagogie de projet me semble intéressante et permet de faire sens aux élèves, de faire du lien entre les matières : on nous répète, en formation, qu’un élève apprend et sait mieux se débrouiller quand il arrive à faire des liens entre les disciplines, entre les différents exercices, entre théorie et pratique. Mais pour que ça fonctionne, il faut que les professeurs aient le temps et l’envie de le faire.

Outre la réforme du collège, il y a celle des programmes. Le CSP a émis ses propositions. Que retenez-vous de leurs propositions concernant le français ?

Je trouve très intéressante la vraie place qu’ils accordent à l’oral en Français car c’est une composante importante trop souvent négligée par les professeurs. L’oral est pourtant nécessaire pour les élèves dans la société d’aujourd’hui afin de rétablir un peu d’égalité. On a tendance à ne pas faire travailler l’oral car on considère que ça se travaille à la maison alors que les élèves n’y ont pas tous les mêmes possibilités et capacités pour le travailler. On considère l’oral comme acquis alors que ça se travaille comme l’écrit.

L’allègement des programmes de grammaire est aussi une bonne chose car ils sont à mon sens un peu trop lourds : c’est important de faire de l’orthographe et de la grammaire mais, par exemple, étudier l’attribut du COD en 4e n’a pas beaucoup de sens pour les élèves. Les programmes actuels me semblent trop ambitieux et peu réalistes sur ce point.

Je regrette en revanche l’intitulé flou de certains domaines du programme de lecture qui ne proposent pas d’exemple d’œuvres. On prend peut-être le risque de passer à côté d’auteurs incontournables car difficiles à transmettre ou qui ne plaisent pas aux professeurs. Il serait bien de les détailler et de donner des indications quant à la direction dans laquelle il faut aller.

Le fait, également, que ces programmes se fassent par cycle doit nécessiter une meilleure cohésion entre les enseignants d’une même discipline, et cela peut poser problème avec, par exemple, les professeurs remplaçants ou lorsque l’équipe ne communique pas très bien.

 

« Je demande juste à être formée »

 

20% d’autonomie, EPI, travail par cycles… Cela fait beaucoup d’heures de concertation !

En tant que jeune prof qui aies tout à apprendre, je suis prête à faire ces heures en plus mais la plupart des profs auront besoin que ces heures soient dans leur emploi du temps ou qu’on leur enlève du temps de cours pour entrer dans le projet. Sinon, ceux qui ont un emploi du temps compliqué et/ou une vie de famille risquent de rechigner…

Quel est votre sentiment global sur ces réformes, en tant que jeune enseignante ayant fait sa formation sur un autre programme et un autre collège que ceux sur lesquels vous allez être amenée à enseigner ?

Cela fait un peu peur de devoir tout réapprendre mais je pense que je suis suffisamment jeune et avec l’envie d’apprendre. Je pense que ça me posera moins de problèmes que ceux qui ont leur méthode installée depuis longtemps et à qui cela va demander plus d’efforts de travailler par compétences (méthode incitée par les nouveaux programmes). Je demande juste à être formée car j’ai pu voir, cette année notamment, l’importance de la formation pour une bonne mise en œuvre des programmes. La formation permet de s’adapter, de rassurer tout le monde.

 

*Exemples de difficultés dans l’organisation des cours de l’ESPE cette année :

  • Enseignements non adaptés à certains étudiants qui les avaient déjà reçus l’an dernier en master MEEF
  • Obligation de faire des stages en établissement non conventionnés et non assurés
  • Evaluations lourdes, aux modalités floues (les étudiants ayant appris l’obligation de devoir rendre plusieurs dossiers seulement deux semaines avant)
  • Manque de communication et contradictions

2 réflexions sur “Regards d’une jeune enseignante de Français sur les réformes du collège et des programmes

  1. merci, votre point de vue est très intéressant. J’ai beaucoup oeuvre sur les programmes de cycle 4 (que j’ai pilotés disons). Sur les oeuvres, nous n’avons pas voulu donner une liste, après débat. Mais des documents d’accompagnement vont suivre (avez-vous vu déjà une partie qui est sur le site du CSP mais pas pour la consultation qui ne concerne que le programme). N’hésitez pas à vous exprimer pour la consultation. bon courage
    jm zakhartchouk, membre du groupe cycle 4, travaillant avec le conseil supérieur des programmes

  2. Merci beaucoup Jean-Michel pour votre lecture et votre commentaire.
    Je le fais suivre à l’enseignante interrogée.
    Erwin

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